mardi 4 juin 2013

ELECTIONS PRESIDENTIELLES AU MALI


Pourquoi nous ré-éluerons un baron du système !

Si les signaux qui profilent laissent entrevoir les prémisses d'une certaine accalmie, la crise généralisée que vient de connaître le Mali est d'une telle gravité que l'on a failli assister , impuissants, à une disparition certaine du pays en tout cas sous sa forme actuelle. Incroyable situation : Tel dans un conte de fée, le pays fut sauvé de la noyade collective par le héros français. A l'origine d'un tel chaos, faut-il le rappeler, l'irresponsabilité et la démission d'une classe dirigeante qui, comme d'habitude, ne fait la politique que pour assouvir des intérêts purement égoïstes. Cette situation aurait pu être vue sous un angle simpliste si tous ces responsables politiques n'avaient pas été élus au suffrage universel, au niveau local et national, à grand renfort de T-shirt et de sachets de thé... par les citoyens maliens nous-mêmes. Pourtant le peuple Malien dans sa majorité, meurtri, humilié, blessé dans son amour propre, n'arrête plus d' exprimer son souhait de voir naître enfin, dans ce pays jadis cité en exemple,  un ordre plus juste, plus consciencieux et ayant le sens de l'intérêt commun.
A la veille du scrutin (le 28 juillet 2013) au terme duquel les Maliens élueront notamment le président de la république, il convient de jeter un regard critique sur l'évolution des mentalités dans la société. L'intérêt des bouleversements sociopolitiques d'importance, comme ceux ayant menacé le Mali jusque dans son existence, est de susciter un choc des mentalités de nature à permettre une remise en question générale des certitudes, pouvant faciliter l'éveil des consciences. Dans notre cas précis, l'orientation que le cours des événements a amorcée nous fait penser que beaucoup de nos compatriotes n'ont pas tiré suffisamment d'enseignements de ce qui est en train de se passer.
En effet, que ce soit au sein de l'armée nationale, de la société civile dans toutes ses composantes, de l'intelligentsia, ou encore de la classe politique, rares sont les faits et actes concrets qui portent la marque de l'ardeur d'une société décidée à rompre, profondément et définitivement, avec les pratiques d'un système sociopolitique qui a cours depuis 1968. Aucun signe tangible de la volonté des électeurs maliens de porter à la tête des destinées du pays un homme ou une femme neuf (ve). Un patriote ayant des ambitions novatrices, et n'appartenant pas au sérail politique traditionnel, mais porteur d'une volonté de changements dans tous les secteurs de la vie.
L'une des raisons qui nous font penser que cette élection ressemblera, à bien des égards, aux précédentes est d'ordre politique. La quasi totalité des formations politiques au Mali ne sont pas fondées sur une idéologie directrice qui ferait fédérer tous les membres. L'absence d'idéal politique fait que peu de nos formations répondent aux critères de parti politique. Ce sont plutôt des formations hétéroclites de personnes venues d'horizons divers et dont le seul objectif, dans le militantisme, est de se frayer une place au soleil en période de beau temps. Mais contrairement aux indépendants et aux autres candidats sans couleur, ce sont ces partis qui ont le plus d'implantation au sein des populations les plus reculées. A titre d'exemple, l'Adéma, qui est le plus grand parti politique au Mali, est certainement celui qui est le mieux organisé du point de vue structurel. Une telle formation, dont on sait qu'elle ne va jamais s'attaquer à la corruption en cas de victoire, a de réelles chances de gagner n'importe quel scrutin et cela quel que soit le candidat présenté. Dans beaucoup de bureaux de vote, certains candidats n'ont pas le moindre représentant, à plus forte raison la capacité de fournir un assesseur.
Sur le plan social, peut-on constater à travers tout le Mali, la force des événements qui ont court, dans ce pays à la tradition pacifiste, a fini par convaincre le citoyen lambda de l' immanence de son impuissance, ou sa complicité (c'est selon) face à la puissance de la fatalité. Les Maliens n'ont ni le courage ni la volonté de s'opposer à des pratiques comme la corruption, le copinage dans l'administration, le népotisme... Il s'agit donc d'un système ayant eu le temps d'avoir un encrage social assez prononcé. A telle enseigne qu'aujourd'hui le sentiment dominant chez les citoyens face à l'entêtement des pratiques, sous l'impulsion des forces « obscures » de la nature, demeure la fatalité, rien que la fatalité.
L'une des pratiques les plus symptomatiques du pourrissement de ce système que le pays tout entier semble cautionné est la corruption. De tous les « grands » candidats briguant la magistrature suprême, aucun ne peut s'offrir le luxe de promettre une éradication chiffrée de ce fléau qui ronge le Mali. Pas parce que qu'ils n'en ont pas les moyens, mais pour la simple et bonne raison que lutter contre la corruption signifierait se mettre au travers des intérêts de ses proches et des autres camarades de son parti politique. Etant entendu que « la politique n'est pas une religion » , personne ne voudra sacrifier ses précieux temps à faire des réunions interminables pour ensuite ne récolter que des menus fretins. Et bien cette corruption, aussi triste que cela puisse paraître, est majoritairement cautionnée dans la société malienne.
C'est dans cet ordre d'idée qu'il faut placer la logique qui sous-tend les campagnes électorales. Les citoyens ne votent pas par conviction, mais plutôt par reconnaissance à tel ou tel candidat. Au Mali, on ne vote pas un Candidat compte tenu de ses capacités à bien gérer le pays, mais on lui accord son vote pour service rendu, en guise de récompense. Tout candidat qui  ne rentre pas dans ce jeu ne pourra jamais gagner. Or il se trouve que ce sont les candidats des grands partis traditionnels qui, disposant de moyens conséquents, sont les seuls à pouvoir distribuer les sacs de riz, les T-shirts, les sachets de thé et autres soirées folkloriques...
Au nombre du pléthore de candidats au starting block, il y a deux ou trois qui ont la réputation de bagarreurs. Des personnalités, dont il est établi qu'une fois au pouvoir, vont s'attaquer aux failles du système. Mais malheureusement leurs chances de remporter le vote sont quasi nulles. Les Maliens ne choisiront pas volontiers un « dur » dont ils savent qu'il va empêcher les gens de gagner leur « NASSONGO » (prix de condiments). Ils en est de même pour les fonctionnaires, les policiers, les douaniers ... qui n'ont pas du tout intérêt à ce qu'un « arrogant » , au nom de la lutte contre la corruption, vienne s'attaquer à leur principale source de revenu : les dessous de table.
Quant à l'administration chargée du suivi et de la gestion des élections, elle est représentée par la CENI (Commission Électorale Nationale Indépendante) et la DGE (Délégation générale aux Élections). Mais en réalité, ce sont des structures qui ne sauraient être indépendantes. Puisque nommés par le pouvoir exécutif, leurs membres seront toujours redevables au pouvoir en place. Et pire encore, ce sont des structures budgétivores dont les responsables successifs nous ont plutôt habitués aux sales casseroles traînant derrière eux, plutôt qu'à s'occuper d'élections dont les ficelles sont au demeurant tirées d'ailleurs.

Au vu de tous les faits ci-hauts évoqués, il apparaît évident que les Maliens élueront cette année 2013, comme par le passé, un homme politique du sérail. C'est aussi le constat de cette triste réalité qui nous inspire cet appel à la prise de conscience générale. Que chacun, au moment de voter, prenne ses responsabilités, se dise qu'il est maître du destin de notre pays. Cependant, la politique n'étant pas une science exacte, il est possible aussi que monte en puissance une espèce de sursaut national, laquelle situation pourrait bénéficier à l'un des trois candidats n'entrant pas dans la moule du système.

                                                                                          Boubacar Mody Sacko

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